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laboratoire écologie et art pour une société en transition

Devenirs buissons

Devenirs buissons est une démarche artistique cocréative qui vise à renforcer la cohésion sociale en inventant des cadres sensibles et inclusifs, favorisant le sentiment d’appartenance et le vivre-ensemble.

Le terrain des Buissonnets, à Versoix (GE), est une friche urbaine, un espace situé entre des villas résidentielles et des logements sociaux. Cette zone, où coexistent différentes réalités sociales, constitue ce que le livre La Ville relationnelle appelle un espace de liberté programmatique, un lieu en jachère propice à l’expérimentation de nouvelles façons de vivre ensemble.

Devenirs buissons propose d’activer ce lieu de manière collective et symbolique, à travers des formes d’arts visuels et d’architecture temporaire menées en collaboration avec les habitant·e·x·s, les associations, les institutions et les chercheur·euse·x·s de diverses disciplines. Par leurs formes singulières et poétiques, ces interventions cherchent à faire germer des récits, des usages et des imaginaires qui ne pourraient éclore à l’ombre des grands programmes urbanistiques classiques.

La friche devient un tiers-lieu, un espace intermédiaire accueillant, situé entre la maison et le travail, où peut se retisser du lien social informel. Ce type d’environnement socialement fertile participe à produire des “germinations créatives” — des formes inédites de cohabitation, de gouvernance partagée, de convivialité.

Par l’art et des pratiques situées, Devenirs buissons affirme que le “droit à la ville” est aussi un droit à l’imaginaire, un droit à rêver, inventer et réenchanter les lieux que nous habitons.

étapes accomplies

En 2025, les équipes cocréatives — réunissant artistes, architectes et expert·e·x·s métiers — se sont rencontrées lors d’un premier laboratoire collaboratif. Elles ont ensuite réalisé deux visites et immersions sur le terrain, à différentes saisons, afin d’explorer le site et de partager leurs intentions ainsi que leurs souhaits pour la poursuite du projet.

en cours

Cet automne, le projet prend la forme de résidences de recherche à Versoix, où les artistes s’immergent dans la réalité locale pour poser les bases sensibles, sociales et conceptuelles de la cocréation.

Ils et elles sont accompagné·e·x·s par des architectes et rencontrent divers spécialistes (biologistes, botanistes, historien·ne·x·s, archivistes, acteur·trice·x·s du territoire), tout en tissant des liens avec les habitant·e·x·s.

L’équipe enrichit ainsi sa compréhension du contexte local à travers des lectures sociales, politiques et anthropologiques : migrations, transformations urbaines, mixité, mémoires des lieux et conflictualités.

à venir

À Versoix, l’équipe se rencontrera à nouveau en février pour une résidence hivernale. Entre août et septembre 2026, les artistes y séjourneront cinq semaines pour développer leurs projets en cocréation avec les habitant·e·x·s et partenaires locaux·ale·x·s. Le terrain des Buissonnets deviendra à ce moment-là un lieu d’ateliers, de rencontres et d’expérimentations artistiques.

La dernière semaine donnera lieu à des restitutions publiques et festives, transformant ce site autrefois perçu comme vide en un espace porteur de mémoires collectives et de nouvelles significations urbaines. En tant que terrain d’exploration pour d’autres manières de faire la ville, il deviendra le support de mémoires en devenir, d’affects partagés et de significations renouvelées.

équipe transdisciplinaire

Giulia Angrisani – anthropologue
Canedicoda – artiste
Marion Zurbach – artiste
Carla Demierre - autrice
Collectif PromeNOODology – architectes et architectes-paysagistes
Françoise Dubosson - historienne
Laurence Crémel – architecte paysagiste (HEPIA – Paysage projet vivant)
Dieter Dietz et Léonore Nemec – architectes (EPFL – Architecture Land Initiative)
Rodrigo Fernandez et Laurent de Wurstemberger – ingénieur matériaux et architecte (HEIA Fribourg – Terrabloc)

Urgence et cocréation

Un entretien avec l’architecte Antonella Vitale.

Urgence et cocréation

Antonella Vitale est une architecte qui a consacré une partie de sa carrière à la conception de camps de réfugiés. Aujourd’hui, parler de personnes déplacées et d’espaces temporaires ne signifie pas seulement s’intéresser aux crises humanitaires, mais aussi réfléchir plus largement à ce que signifie habiter et cohabiter dans un monde marqué par l’instabilité et les crises environnementales. L’expérience acquise dans ces contextes d’urgence montre qu’il est possible de répondre aux besoins fondamentaux du logement même avec des ressources limitées, en impliquant directement les communautés et en expérimentant des solutions plus flexibles et adaptées. Dans les camps de réfugiés, émergent des pratiques de cocréation et des stratégies d’adaptation qui peuvent inspirer une approche plus générale de la conception architecturale. À une époque marquée par les crises écologiques et les migrations forcées, comprendre comment assurer des conditions de vie dignes en situation de précarité revient à interroger les vulnérabilités de nos propres villes et à repenser les modalités d’implication des communautés dans la construction des espaces de vie.

Quel lien existe-t-il entre crise écologique et migration ?
Les problèmes écologiques, tels que la rareté des ressources naturelles, la désertification et les catastrophes environnementales, sont souvent étroitement liés aux conflits et aux migrations. La construction de camps de réfugiés comporte également son lot de défis. Par exemple, un effet secondaire de leur présence est la déforestation, car les personnes déplacées ont besoin de bois pour cuisiner et, dans certains cas, leurs installations s’étendent. Il faut savoir que ces personnes vivent souvent pendant des années dans des tentes et construisent des structures temporaires, de manière autonome, en autogestion.

De quelle durée parlons-nous ?
La durée moyenne passée dans un camp est de 17 ans. C’est pourquoi la culture humanitaire a évolué au fil du temps : autrefois, on se contentait de fournir de la nourriture, de l’eau et un logement temporaire. Aujourd’hui, l’objectif est de proposer une vie aussi normale que possible. Plutôt que de fournir des logements provisoires, l’idée est de loger les personnes déplacées chez les habitants ou dans des structures réaffectées, si les autorités locales l’autorisent. Les camps de réfugiés ne facilitent pas l’intégration car ils créent des ghettos ; ils sont désormais considérés comme un dernier recours.

Quel type de structures sont généralement mises à disposition de ces populations ?
Les tentes et les containers font partie des options les plus coûteuses dans les contextes extra-européens, ne serait-ce que pour leur transport. Les tentes, notamment, sont très précaires et inconfortables, et selon le climat, elles n’ont une durée de vie que de six mois. Par ailleurs, les campements sont souvent installés sur des terrains marginalisés, et s’ils n’ont pas encore été construits, c’est généralement pour une bonne raison : ils sont sujets aux inondations, sont trop chauds ou impossibles à cultiver. En général, il reste crucial de passer le plus rapidement possible de la phase de réponse d’urgence à une phase transitoire, puis vers une stabilité accrue.

Dans votre travail, avez-vous vécu des expériences de ce type ?
Lors de ma mission au Mozambique, j’ai participé à l’extension d’un camp de réfugiés afin d’accueillir 5 000 personnes supplémentaires. J’ai repris le projet après le départ de mon prédécesseur, qui avait rencontré de nombreuses difficultés de gestion. L’un des problèmes principaux était les incendies, allumés en guise de protestation par les habitant·e·x·s du camp. À mon arrivée, la situation était complexe et les règles de sécurité étaient très strictes : je devais respecter un temps limité dans le camp et revenir à ma base avant le coucher du soleil. C’était l’une de mes premières expériences, et je me suis retrouvée face à un défi de taille, sans directives claires sur la façon de procéder et avec peu de ressources.

Quelle approche avez-vous décidé d’adopter ?
J’ai choisi de maximiser le temps passé dans le camp, en commençant à interagir avec les différentes communautés. Le camp abritait des groupes venus de la région des Grands Lacs africains, des personnes marquées par des conflits profonds entre clans. J’ai cherché à comprendre leur situation et à les impliquer dans le processus décisionnel, leur confiant la tâche de signaler les problèmes et les besoins essentiels. Si je n’avais pas agi ainsi, il y aurait probablement eu de l’opposition, car involontairement, par exemple, nous aurions exacerbé des inimitiés entre les clans, en intervenant dans des histoires que nous ne pouvions comprendre et en alimentant les tensions.

Quelles stratégies avez-vous utilisées pour impliquer les habitants du camp ?
Le moment clé a été celui du lancement de la phase de conception et de planification. J’ai laissé les habitant·e·x·s me faire part de leurs besoins, aspirations et préférences concernant la disposition des logements. Pour moi, l’essentiel était de respecter le nombre de personnes à loger, tandis que la distribution des espaces leur revenait. Cette approche a eu un impact très positif sur la faisabilité du projet. Ma présence constante dans le camp a aussi permis de déconstruire le préjugé selon lequel les travailleurs humanitaires internationaux sont distants, enfermés dans leurs bureaux climatisés ou leurs jeeps. En montrant ma disponibilité à écouter, j’ai favorisé un climat de confiance.

Comment avez-vous surmonté l’obstacle de la langue ?
Pour faciliter la communication et la compréhension mutuelle, j’ai choisi d’afficher les dessins du projet à des endroits visibles du camp. Cela a suscité la curiosité des habitant·e·x·s, qui s’approchaient pour s’informer et participer activement aux rencontres. Grâce à cette méthode, nous avons pu définir au mieux la répartition des espaces de vie en fonction des besoins réels de la communauté. En fin de compte, l’élément clé de cette expérience n’a pas été l’aspect technique, mais la capacité à écouter et à répondre aux besoins des gens, en initiant un processus de cocréation qui a rendu le projet plus efficace.

Dessin: © Anaëlle Clot.

Comment êtes-vous intervenue dans les espaces publics ?
Le camp comportait des zones vides qui servaient de points de rassemblement naturels, comme celles autour des pompes à eau, souvent situées sous de grands arbres. L’un de ces points était proche du centre d’alimentation thérapeutique pour les enfants de moins de cinq ans et non loin de l’école. J’ai analysé ces synergies existantes et les ai intégrées à la création d’un terrain de sport, stratégiquement positionné pour encourager les activités physiques et le mouvement.
De plus, dans cette zone, j’ai introduit un système de communication plus structuré, en utilisant un arbre comme point d’affichage pour les commentaires, suggestions et plaintes de la communauté. Bien que les critiques aient été plus nombreuses que les louanges, ce système a permis d’établir un canal de communication direct et clair. Mon objectif était de faciliter les échanges entre les opérateurs et la communauté, en recueillant des retours utiles pour améliorer la gestion du camp. Quand il y a participation, cocréation ou au moins échange d’idées, les gens sont prêts à s’impliquer, surtout si cela touche aux constructions ou à l’utilisation des espaces.

Quels marges de liberté y avait-il pour l’auto-conception des bâtiments ?
Au Mozambique, nous avons impliqué les gens dans la construction de maisons avec des matériaux locaux : roseaux, terre et paille. La quantité de matériaux fournie à chaque famille était la même, et chacune pouvait ensuite décider comment l’utiliser en s’appropriant le projet. Il s’agissait de passer des tentes à des maisons très simples mais permanentes, selon les standards du Mozambique. Cela doit aussi être pris en compte : lorsqu’on offre une solution d’urgence à une population qui vient de l’extérieur, il ne faut pas aller au-delà de ce que les habitant·e·x·s les plus défavorisés de la société locale ont, afin de ne pas alimenter les tensions.

Y a-t-il d’autres niveaux de cocréation souhaitables dans ce contexte ?
La population déplacée, avant de quitter son pays d’origine, avait un métier, des occupations, des passions. Cartographier ces compétences est une richesse à exploiter pleinement, d’une part pour insérer ces personnes dans le monde du travail et les rendre autonomes, d’autre part pour contribuer aux programmes d’aide aux personnes déplacées. Les ressources étant limitées, tirer parti des compétences locales est une grande opportunité. Ce n’est pas toujours facile, cela prend du temps, il faut aller à la rencontre des gens, mais cela apporte énormément à la communauté qui se sent respectée, et non marginalisée.

Y a-t-il des pratiques spontanées dans l’espace public qui aident à créer de la cohésion ?
La nourriture est un outil important d’identité culturelle, surtout dans des contextes de grande désorientation. La possibilité de cultiver des aliments traditionnels ne se limite pas à fournir un moyen de subsistance, elle permet aussi de maintenir un lien avec la culture d’origine et de la partager avec la population locale. Cette pratique crée des opportunités d’échanges culturels, par exemple à travers de petits points de restauration où les habitant·e·x·s des camps peuvent faire découvrir leur cuisine. De plus, cela peut faciliter l’échange de techniques agricoles ou culinaires utiles à la fois à la communauté réfugiée et à celle d’accueil.

Quel est le rapport entre urgence et planification ?
L’urgence et la planification sont presque antagonistes, car en situation d’urgence, par définition, il n’y a pas de temps ni de possibilité de planifier. Cependant, il ne faut pas non plus tomber dans le piège de l’urgence continue, car cela serait naïf, coûteux et politiquement dangereux. Dans l’urgence, on doit déroger à de nombreuses règles. La législation nécessite du temps, des processus stricts, de la cocréation, mais c’est aussi le seul moyen d’avancer.

Que pouvons-nous apprendre de l’habitat dans les contextes d’urgence ?
Dans les contextes d’urgence, on apprend que retarder l’action réduit progressivement les options disponibles, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus aucune. Les polycrises actuelles, y compris celle liée à l’environnement, nous enseignent qu’il est essentiel d’agir à temps, même en Europe, où, malgré les ressources, les villes ne sont pas prêtes à affronter les défis climatiques actuels et futurs.
Dans certaines zones du monde, les impacts environnementaux rendent progressivement des régions entières inhabitables. Le problème ne réside pas seulement dans l’augmentation des températures, mais dans la disparition des ressources vitales, ce qui pousse les gens à migrer. Cependant, l’attention mondiale se concentre plus souvent sur la protection contre les flux migratoires que sur des interventions à long terme pour prévenir les crises.